par Jane Wonder
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21 février 2025
À 15 ans je réalisais ma première linogravure. Une technique d’estampe proposée en seconde au lycée d’arts appliqués et textile de Roubaix. Je me souviens encore de l’odeur de l’huile de lin et des sensations des coups de gouges dans la matière dense et souple, et cette joie intense de savourer chaque étape du processus qui a fait naître chez moi la passion pour l’estampe. Quelques années plus tard, j’ai retrouvé le plaisir de graver aux Beaux-Arts de Tourcoing , puis aux Beaux-Arts de Bruxelles en ERASMUS. Là j’ai découvert les sensations liées aux ateliers de gravure. Des lieux souvent sombres et chargés de meubles lourds, les outils accrochés au mur, des tiroirs qui débordent, des matrices et des épreuves étalées un peu partout sur les murs et à l’horizontal quand il y a encore de la place. Toujours ces odeurs fortes qui m’ouvraient les portes d’une inspiration profonde, et biensûr les grandes presses, pièces maîtresses qui trônaient dans ces espaces devenus sacrés. Dans ces lieux j’étais en communion, en amour avec le processus de création. J’étais comme dans l’atelier des dieux créateurs, là où se forment les matrices, comme au coeur de l’expérience profonde de la matière. Je n’avais pas les mots à l’époque, mais je nageais déjà en plein mysticisme. Une profondeur créé par l’ambiance des ateliers et sans doute par cet acte d’ajouter de la profondeur à un dessin en le gravant dans la matière. Je le ressens comme ceci. Pourquoi faire glisser la mine d’un crayon sur une feuille de papier, quand dans la passion pour la matière, on peut la graver en profondeur. Je le ressens comme un plaisir de l’âme, saisir la Beauté du geste et de sa profondeur , aller plus loin dans la sensation de s’ancrer dans la matière, de jouer amoureusement avec elle. Toujours étudiante, je revenais le week-end chez mes parents qui habitaient Gravelines, où se trouve justement l’un des rares musées du dessin et de l’estampe originale en France. C’est naturellement que j’ai frappé à la porte de l’atelier du musée en 2002, et j’ai pratiqué amoureusement pendant plus de dix ans, variant les plaisirs des matrices et explorant les diverses techniques de gravure et d’impression. Et puis j’ai déménagé, changé de vie, de rythme et j’ai quitté l’atelier de Gravelines. J’ai continué à pratiquer la linogravure chez moi, de temps en temps. Je suis devenue enseignante en arts graphiques à l’école des arts visuels de Gravelines, où on a récupéré une petite presse du musée. Tantôt je l’emprunte pendant les vacances scolaires pour me faire quelques tirages dans mon appartement malouin, tantôt je propose une pratique de gravure à mes élèves.