À 15 ans je réalisais ma première linogravure. Une technique d’estampe proposée en seconde au lycée d’arts appliqués et textile de Roubaix. Je me souviens encore de l’odeur de l’huile de lin et des sensations des coups de gouges dans la matière dense et souple, et cette joie intense de savourer chaque étape du processus qui a fait naître chez moi la passion pour l’estampe.
Quelques années plus tard, j’ai retrouvé le plaisir de graver aux Beaux-Arts de Tourcoing , puis aux Beaux-Arts de Bruxelles en ERASMUS. Là j’ai découvert les sensations liées aux ateliers de gravure. Des lieux souvent sombres et chargés de meubles lourds, les outils accrochés au mur, des tiroirs qui débordent, des matrices et des épreuves étalées un peu partout sur les murs et à l’horizontal quand il y a encore de la place. Toujours ces odeurs fortes qui m’ouvraient les portes d’une inspiration profonde, et biensûr les grandes presses, pièces maîtresses qui trônaient dans ces espaces devenus sacrés. Dans ces lieux j’étais en communion, en amour avec le processus de création. J’étais comme dans l’atelier des dieux créateurs, là où se forment les matrices, comme au coeur de l’expérience profonde de la matière.
Je n’avais pas les mots à l’époque, mais je nageais déjà en plein mysticisme.
Une profondeur créé par l’ambiance des ateliers et sans doute par cet acte d’ajouter de la profondeur à un dessin en le gravant dans la matière.
Je le ressens comme ceci.
Pourquoi faire glisser la mine d’un crayon sur une feuille de papier, quand dans la passion pour la matière, on peut la graver en profondeur. Je le ressens comme un plaisir de l’âme, saisir la Beauté du geste et de sa profondeur , aller plus loin dans la sensation de s’ancrer dans la matière, de jouer amoureusement avec elle.
Toujours étudiante, je revenais le week-end chez mes parents qui habitaient Gravelines, où se trouve justement l’un des rares musées du dessin et de l’estampe originale en France. C’est naturellement que j’ai frappé à la porte de l’atelier du musée en 2002, et j’ai pratiqué amoureusement pendant plus de dix ans, variant les plaisirs des matrices et explorant les diverses techniques de gravure et d’impression.
Et puis j’ai déménagé, changé de vie, de rythme et j’ai quitté l’atelier de Gravelines. J’ai continué à pratiquer la linogravure chez moi, de temps en temps.
Je suis devenue enseignante en arts graphiques à l’école des arts visuels de Gravelines, où on a récupéré une petite presse du musée. Tantôt je l’emprunte pendant les vacances scolaires pour me faire quelques tirages dans mon appartement malouin, tantôt je propose une pratique de gravure à mes élèves.
Après une dizaine d’années d’absence j’ai eu l’occasion de revenir à l’atelier de gravure de Gravelines en septembre dernier. Cette ambiance d’émulsion créative me manquait et j’avais besoin d’approfondir ma pratique, acquérir des nouvelles compétences, me rafraichir dans le domaine.
J’ai vécu de façon intense la première séance de mon retour, une joie si vive de goûter à nouveau ses sensations que j’aime tant, que je m’en suis rendue malade et incapable de pratiquer.
J’ai pris le temps d’observer, avec plus de discernement, mon énergie, mon état de conscience lorsque je pratique et que j’évolue dans ces espaces.
La gravure révèle ma passion pour la matière. De la préparation de la matrice au dessin, de la gravure — sculpter la matière à coups de gouge ou la dessiner à la pointe sèche — à l’impression, je me sens amoureuse, traversée par cette énergie vive et vivante qui a envie d’embrasser la création entière. Je me sens remplie d’énergie vitale, et je jouis de me laisser traverser par elle et de la laisser guider mon geste. Je pourrais m’arrêter sur la frustration quand j’observe également les filtres de la personnalité qui limitent mon expression artistique. Mais la Joie est là, au coeur du geste et me saisit, elle est plus puissante que les méandres du mental. C’est comme un instant de Grâce.
Comme un mouvement organique et Vivant qui n’aspire qu’à goûter, aimer, sublimer et révéler l’amour dans la matière.
Peu importe le motif ! Le mental, bien sûr, s’accapare sa part : composer, calculer la superposition des matrices ou des motifs en taille perdue, les temps de morsure pour l'eau-forte et l'aquatinte…
L’art d’imprimer, la préparation du papier ou des supports variés, l’encrage, l’essuyage et le passage sous la presse, tout autant d’étapes qui peuvent influencer l’évolution du processus.
J’ai savouré tout autant ce cheminement de révélation travers la photographie argentique, quand il était encore facile de trouver des studios de développement.
Aujourd’hui je prends conscience que mon amour pour ce processus de révélation d’image est une mise en abîme de l’amour de mon esprit pour le processus de révélation de l’être humain.
En fin de compte, mes premières lectures spirituelles et de développement personnel remontent également vers mes 15 ans, avec « Nous sommes tous immortels » de Patrick Drouot. Une première lecture qui m’a ouvert à cette passion pour l’évolution de l’être humain.
Je me croyais lente dans mon évolution spirituelle, je vois aujourd’hui que mon âme savoure juste chaque étape de mon évolution personnelle, un chemin de résilience et de transcendance de l’expérience humaine.
Au-delà de mon impatience se trouvait le besoin de mon âme à savourer cette lenteur, comme on regarderait au ralenti chaque image de la pellicule d’un film, savourer amoureusement chaque étape du processus organique d’évolution de la conscience humaine à l’image de celui de tout être vivant sur cette belle planète.
Je vis l’art de l’estampe comme une mise en abîme de ce processus de création du vivant et de l’amour de l’Esprit du Créateur envers la Matière.
D’autant plus lorsque j’observe, que je goûte ou que je m’abandonne à cette intelligence créative qui est, au-delà de la conscience humaine, l’essence même de la Vie.
Elle n'est que Pure Création au-delà de nos concept de création et de beauté, et elle est Beauté en essence.
Je vous souhaite de tout cœur de goûter à cette extase créative !
Hélène